Château de La Loupe 28240
du 20 au 28 septembre 2008
René Maltête
Un regard photosensible

René Maltête n’a le titre de photographe que pour la galerie. Il est d’abord un humoriste au regard photosensible en quête de l’insolite et du cocasse qui font dérailler subrepticement la lisse réalité étiquetée dans les dictionnaires et classée dans les esprits millimétrés à l’équerre et au pied à coulisse.

Rien de sa famille bretonne de fonctionnaires des Postes et des Contributions indirectes, au sein de laquelle il voit le jour en 1930, ne le prédestinait à entrer dans cet univers de l’image et de l’humour, sinon sa passion, tôt déclarée et jamais assouvie, pour le cinéma — le pire et le meilleur — dans les salles obscures de quartier, et un tutélaire cousinage avec Fred Orain, le producteur du Dindon de Barma d’après Feydau, de Jour de Fête de Tati ou des Enfants du Paradis de Carné/Prévert. Monté à Paris à 21 ans avec, en poche, des rêves de caméra au poing et le culot des naïfs, il se lasse vite de faire le pied de grue et le porteur de cafés sur les plateaux de tournage.

Le grouillement du Paris d’après-guerre, les mille petits métiers pour survivre, la lecture puis la rencontre de Prévert, celles de Fallet, de Vian, de Brassens et de combien d’autres de ces poètes, écrivains, chanteurs, touche-à-tout fantaisistes, amoureux de la vie et tireurs — à l’époque — du diable par la queue, affûtent son regard d’un bleu déconcertant, entre ciel et océan, et ajustent sa vision gros-plan sur les décalés burlesques, sur les boiteries bouffonnes et sur les grincements poétiques du réel si trompeusement ordinaire. Armé d’un Semplex 6x6, il emmagasine les clichés et se fait de la photo-gag une spécialité bien à lui.

Poncif éculé que celui du photographe chasseur d’images, et pourtant… Même don de l’observation muette, même affût patient, des heures durant, mêmes ruses et subterfuges pour piéger la lumière et la proie, même détente ponctuelle sur le déclencheur pour capturer, imprimer sur le film, l’imprenable. Pas de matériels sophistiqués, d’appareillages prothétiques, d’accessoires compliqués, d’artifices d’éclairage ou de laboratoire. Rigueur de la composition et précision du cadrage doivent restituer l’instantané furtif né de la superposition fortuite de ces plans de la réalité qu’on ne sait plus voir conjoints par manque d’entraînement de la perception et par abus d’esprit de sérieux. La performance, c’est de fixer cette fulguration sur la pellicule si exactement qu’elle provoque chez le spectateur le même éclair d’intelligence avec le monde. Rien n’est plus palpitant, plus réconfortant aussi, que d’observer, sur le visage des visiteurs d’une exposition de Maltête, photo après photo, cette illumination souriante quand la pointe, apprêtée l’air de rien, atteint sa cible, surprise d’abord puis qui en redemande, revient en arrière, s’esclaffe, s’enchante.

René Maltête est photographe mais il aurait pu être un dessinateur à l’égal des Bosc, Serre, Topor, Chaval, Reiser, Plantu et autres Cabu. Il les admirait et les enviait pour leur souveraine liberté à disposer du réel, à le recomposer pour n’en retenir que les lignes de construction utiles au gag. Le photographe, lui, doit composer avec la réalité, attendre son bon vouloir, la saisir par les cheveux, rentrer bredouille souvent.

René Maltête est photographe mais il est aussi poète au sens radical du terme : même abandon au « vent de l’éventuel » qui charrie la surprise, même regard décapant qui restitue au réel l’épaisseur complexe que l’usage, à force d’habitude, lui confisque, même capacité exceptionnelle à capter des images dont la puissance émotive ou comique le dispute à la force poétique.

René Maltête est mort le 28 novembre 2000.

Anne Certain

Visitez son site internet : rene.maltete.com